Le 07 Septembre 2020

Les neurosciences entrent en jeu !

Les neurosciences entrent en jeu !

Interview de Olivier HOUDÉ
Instituteur de formation initiale, professeur de psychologie du développement à l’Université de Paris, fondateur du LaPsyDÉ (Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant) du CNRS à la Sorbonne

et de Grégoire BORST
Professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université de Paris, directeur du LaPsyDÉ

Auteurs de la collection Flexigame

Issus de la recherche et des découvertes sur le fonctionnement du cerveau des enfants, ces trois jeux d’inhibition et de flexibilité cognitive sont conçus pour « muscler » le cerveau et lui apprendre à résister aux automatismes qui engendrent souvent des erreurs.
- Un projet collaboratif, testé en classe par des enseignants du réseau Lea.fr
- Un principe de jeu simple pour permettre un entraînement régulier efficace : mettre en place une règle à appliquer pendant un certain temps et ensuite changer ou même inverser la règle.

 

Flexigame - Animaux & Tailles  
           

Flexigame - Fruits, Légumes & Couleurs  
           

Flexigame - Formes & Couleurs  
              

 

Pour le bon développement du cerveau et l’acquisition des compétences à l’école, vous préconisez d’entraîner les fonctions dites « exécutives ». Pourriez-vous préciser ?

Les fonctions « exécutives » ou de contrôle, situées dans le cortex préfrontal à l’avant du cerveau, sont primordiales car elles permettent de contrôler l’exécution de nos comportements et réponses. On distingue trois fonctions exécutives inter-reliées :
- l’inhibition qui permet la résistance aux habitudes ou automatismes, aux tentations, distractions ou interférences ;
- la flexibilité (ou switching en anglais) qui permet de s’ajuster au changement par l’inhibition d’un automatisme, puis l’activation d’une nouvelle stratégie ;
- la mémoire de travail qui permet de maintenir et manipuler mentalement des informations et/ou instructions du jeu ou de la tâche lors des deux processus précédents.
À l’école ou à la maison, on entraîne déjà la flexibilité du cerveau, par exemple par des petits jeux très connus tels que « 1, 2, 3 soleil », « Jacques a dit… » ou « Ni oui, ni non », mais on apprend surtout à renforcer les automatismes et pas assez à les inhiber quand ils ne marchent pas. Or le cerveau des élèves doit apprendre à inhiber ses propres automatismes ou « heuristiques », c’est-à-dire ses façons habituelles de fonctionner, de répondre, pour changer de stratégie et se réorienter vers une autre réponse : la solution juste ! Pour cela, il faut bien utiliser la mémoire de travail qui permet de retenir les instructions et la règle du jeu.

 

En d’autres termes, l’inhibition serait indispensable pour bien raisonner ?

En psychologie cognitive, on distingue deux principaux types de stratégies mentales :
- les heuristiques (ou automatismes) sont des stratégies de réponse très rapides, très efficaces – donc économiques pour le cerveau – qui marchent très bien, très souvent, mais pas toujours ;
- les algorithmes (ou règles logiques et exactes) sont des stratégies plus lentes, analytiques, qui demandent un effort cognitif mais conduisent toujours à la bonne solution.
L’inhibition est le processus-clé qui permet d’arrêter les heuristiques trop rapides dans le cerveau afin de laisser le temps aux algorithmes mentaux de s’appliquer. C’est en quelque sorte le signal « STOP » du cerveau, indispensable à un bon raisonnement.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

En mathématiques, les nombres de 1 à 10 sont souvent illustrés par des alignements de jetons. Mais l’automatisme visuel « longueur = nombre » est trompeur pour le cerveau. Lors d’un test, si vous présentez à l’enfant deux alignements de jetons de même nombre mais de longueur différente – les jetons étant plus ou moins écartés –, il dira souvent qu’il y a plus de jetons dans l’alignement le plus long ! Son cerveau est incapable d’inhiber le piège visuel de la longueur. Pour réussir, l’enfant doit apprendre à inhiber son automatisme visuel et compter.

Figure 1
L’automatisme visuel
« longueur = nombre » = fonctionne.

Figure 2
L’automatisme visuel
« longueur = nombre » = ne fonctionne pas.

 

Venons-en à votre collection Flexigame. Est-il possible de développer la flexibilité cognitive du cerveau ? Par quelles activités ?

Nous avons démontré dans notre laboratoire du CNRS à la Sorbonne, le LaPsyDÉ, qu’il est possible d’entraîner le lobe frontal et la flexibilité cognitive. Grâce à l’imagerie cérébrale, on peut observer ce qui se passe dans le cerveau à différentes étapes du processus de flexibilité cognitive lors d’un jeu de logique. Avant l’entraînement, le cerveau reste bloqué sur un premier automatisme de réponse et seule sa partie arrière s’active [voir illustration de gauche ci-dessous]. Après l’entraînement avec ne serait-ce qu’une demi-heure à dire STOP à son automatisme, c’est-à-dire à changer de stratégie de raisonnement, l’activité du cerveau de l’élève se déploie tout à l’avant, dans le cortex préfrontal [voir illustration de droite]. C’est une grande découverte des neurosciences !

Avant (à gauche) et après (à droite) entraînement à la flexibilité lors d’un jeu de logique.
L’activité du cerveau se modifie de façon spectaculaire. Clichés O. Houdé, LaPsyDÉ, CNRS.

 

Chaque jeu de la collection Flexigame repose sur le principe démontré scientifiquement d’un entraînement efficace de la flexibilité cognitive du cerveau : mettre en place une règle à appliquer pendant un certain temps (par exemple, « mettre en correspondance des animaux et leur taille », « associer des fruits et légumes à leur couleur », « reproduire un alignement de perles ») et ensuite changer ou même inverser la règle. La capacité de contrôle inhibiteur de l’enfant est directement sollicitée : inhiber une réponse préétablie, une association habituelle, pour en activer une nouvelle. Cela entraîne la flexibilité cognitive et comportementale de l’enfant. C’est une forme d’intelligence.

 

À découvrir aussi :

 

Entraîner le cerveau à résister

Marie Létang & Julien Garbarg Chenon

Cet ouvrage est le fruit de trois ans de recherche scientifique collaborative « Aller retours du labo à la classe » sur le portail Lea.fr, menée en partenariat avec le LaPsyDÉ. Il propose une démarche pédagogique et 26 activités pour connaître le cerveau et l’entraîner à inhiber. Poster et cartes-jeux à télécharger depuis le portail Lea.fr.