Le 17 Novembre 2015

Mieux comprendre les attentes du tout-petit

Mieux comprendre les attentes du tout-petit

Interview de Josette SERRES
Docteure en Psychologie du développement
Université Paris Descartes

Josette Serres a travaillé pendant 40 ans au CNRS en tant qu’ingénieure de Recherche, spécialisée dans le développement cognitif du nourrisson.
Auteure de nombreuses publications scientifiques, elle est également formatrice auprès des professionnels de la Petite Enfance. Son approche croise les connaissances actuelles en neurosciences et les pratiques pédagogiques mises en place dans les lieux d’accueil collectif.

Ouvrages :

  • Petite enfance : (Re)construire les pratiques grâce aux neurosciences, Christine Schuhl et Josette Serres, Éd. Chronique sociale, 2015.
  • Les pratiques pédagogiques des crèches à l’appui de la recherche, Laurence Rameau et Josette Serres, Éd. Philippe Duval, à paraître dernier trimestre 2015.

 

Articles Petite Enfance :

 

  • Les grandes découvertes de bébé favorisées par la répétition, J. Serres, Métiers de la Petite Enfance, n° 212-213, août/sept. 2014.
  • Comment la parole vient aux enfants, J. Serres, JDP Petite Enfance, n° 87, mars/avril 2014.
  • La méthode d’observation : du laboratoire aux lieux d’accueil de la petite enfance, J. Serres, Psychomédia, n° 47, 2014.
  • Développement et recherche, J. Serres, JDP Petite Enfance, n° 91, nov./déc. 2014.
  • La théorie de l’affordance, L. Rameau et J. Serres, JDP Petite Enfance, n° 92, janv./fév. 2015.
  • Sur quoi s’appuient nos projets pédagogiques ?, L. Rameau et J. Serres, JDP Petite Enfance, n° 93, mars/avril 2015.
  • À propos de la permanence de l’objet, L. Rameau et J. Serres, JDP Petite Enfance, n° 94, mai/juin 2015.
  • Percevoir et comprendre l’environnement, L. Rameau et J. Serres, JDP Petite Enfance, n° 95, juillet/août 2015.
  • Imiter ? mais pour quoi faire ?, J. Serres, EJE Journal, n° 54, juillet 2015.

 

Articles scientifiques de spécialités :

 

  • Développement des capacités attentionnelles du nourrisson entre 2 et 8 mois : rôle de la dynamique de l’interaction mère-bébé dans les différences individuelles, Thèse de doctorat Paris V., Serres-Ruel J. (2000).
  • Approche comportementale de l’attention : aspects développementaux chez les enfants d’âge préscolaire. L’apprentissage de l’auto-contrôle de l’attention à l’école maternelle, ANAE, n° 82 (17), Tome 2, 102-107. Danis A., Pecheux M.G., Serres J. (2005).
  • Understanding goal-directed human actions and physical causality : the role of mother-infant interaction. Infant Behav Dev., 2012 Dec. Hohenberger A., Elsabbagh M., Serres J., De Schoenen S., Karmiloff-Smith A., Aschersleben G. (2012).

 

Vos recherches scientifiques portent sur le développement des capacités d’attention du nourrisson et le rôle de l’interaction mère-bébé. Comment le tout-petit perçoit-il et comprend-il le monde qui l’entoure ?

 

« Dès la naissance, le bébé ne pose pas son regard au hasard. Il est surtout attiré par ce qui bouge et est contrasté. Ces capacités à orienter le regard dépendent du contrôle cérébral de l'oculomotricité et vont très vite progresser. Mais il y a plus important : c'est la signification que l'entourage va donner à ce regard. Si le bébé regarde son lapin en peluche, c'est qu'il « veut » son lapin. Les adultes vont tout de suite inscrire le bébé dans une relation de communication et charger le regard de sens. La direction du regard signifie l'intérêt, voire une demande implicite. C'est en répondant systématiquement à ce signal que le tout-petit va utiliser son regard comme pointage, avant que la main et le doigt tendu viennent le relayer.
Dans mes travaux de recherche j'ai montré qu'il existe une corrélation entre l'ajustement des échanges en face à face et les capacités attentionnelles du bébé. Les bébés avec lesquels on a entretenu de nombreuses proto-conversations* savent se poser pour observer, même lorsqu'ils sont seuls. »

* proto-conversation : c'est un pseudo-dialogue, une interaction entre un adulte et un enfant qui utilise tous les modes de communication pour véhiculer un message, hormis le langage.

Quel intérêt y a-t-il à ritualiser certaines activités et certains moments de la journée ?

« Le cerveau des bébés traite les informations de manière statistique. Quel que soit le canal sensoriel, si une stimulation est répétée, le bébé la mémorise comme très fréquente, donc avec une forte probabilité d'apparition. Après plusieurs expositions à ce même événement, le bébé peut l'anticiper ou « faire des paris » sur son apparition. Si l'hypothèse n'est pas vérifiée, c'est qu'elle n'était pas la bonne et il faut comprendre pourquoi. Notre cerveau est une fantastique gare de triage qui range ensemble ce qui est fréquent et qui traite l'inattendu ou le surprenant comme une information excitante qui chatouille la curiosité.
En crèche, les activités sont ritualisées, donc fréquentes et prévisibles. Le bébé ne sait pas qu'il va manger à 11h28, il peut seulement le prévoir grâce à des indices. Au moment du repas, une chaîne d'actions va se mettre en place : se laver les mains, s'asseoir, mettre le bavoir et enfin l'arrivée de la nourriture. Très vite, l'enfant pourra anticiper dès le lavage des mains qu'il va bientôt manger. Imaginez sa surprise, et surtout sa déception, si cette étape un jour est oubliée ! Il peut en déduire que toute la chaîne va s'arrêter là ! »

Vous avez travaillé sur les temps d’adaptation et d’accueil des enfants en crèche. Qu’avez-vous observé ? Que faire concrètement quand l’enfant arrive à la crèche ?

« En reprenant l'idée développée dans la question précédente, nous savons que le bébé a besoin de points de régularités pour comprendre le monde et qu'il utilise la redondance des informations pour en déduire leur probabilité. Un événement vu pour la première fois est surprenant et à étudier. Vu une deuxième fois, il est moins surprenant et vu une troisième fois ou plus, on sait à quoi s'attendre. Pouvoir prévoir, c'est sécurisant. On a l'impression de maîtriser. Or c'est très souvent ce qui pose problème lors des adaptations en crèches : le bébé ne maîtrise rien. On propose aux parents une adaptation dite « progressive » qui consiste à balayer en une semaine tous les moments de la journée. Cette offre « catalogue » est satisfaisante pour les parents qui pourront se représenter une journée de crèche mais elle n'apprend rien au bébé qui voit de la nouveauté tous les jours (que des « premières fois »).
Le bébé a besoin de redondance et nous proposons aux équipes de recevoir le tout-petit, et son parent pendant la période d’adaptation, toujours au même moment par la même personne, sur le même tapis avec le même jouet, puis chaque jour d’allonger le temps de présence à condition que l'amorce reste la même et permette au bébé d'anticiper sa journée de crèche. »

Vous soulignez également l’importance pour les enfants de pouvoir expérimenter. Quelles sont les implications dans le choix des jeux à leur proposer ?

« L'enfant apprend aussi par répétition de gestes. Il progresse comme un chercheur et s'interroge sur les conséquences de ses gestes. Il peut ouvrir et fermer dix fois de suite la porte du placard : ce n'est pas un TOC, il veut comprendre ce mécanisme. Les jouets vont donc lui permettre d'exercer sa curiosité en toute sécurité. Mais aucun adulte ne peut savoir à l'avance sur quoi porteront les expérimentations des enfants. Il faut donc leur proposer un large éventail d'objets et leur laisser l'entière liberté du choix et de l'action.
Avant trois ans, il est recommandé de laisser les jeux en libre accès, et de ne pas avoir une idée préconçue sur leur bonne ou mauvaise utilisation. Un jeune enfant explore avec autant d'intérêt un camion qu'une chaise. Ce qui est important pour lui, c'est l'action qu'il peut exercer dessus. L’adulte doit parfois oublier le nom que l'on donne aux choses car elles contraignent notre perception. Les jeux d'encastrement peuvent ainsi très bien servir à tout autre chose ! Remplir, par exemple, les alvéoles de pâte à modeler... erreur d’utilisation ou expérience scientifique ? »

À découvrir aussi :

Manipano
Un module en bois à explorer assis ou debout.
Se positionne de deux façons pour varier les possibilités.

Manipano muraux
Quatre panneaux pour stimuler les sens et permettre à l’enfant d’explorer des gestes moteurs variés.
Les panneaux se fixent au mur ou sur un meuble d’activités Clorofile.

Petit bac à eau et à sable transparent
Un bac à eau et à sable transparent pour faciliter les expériences et les observations. Bac avec rebords, robinet de vidange et couvercle.

Nous vous conseillons également